Jacques Perconte
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  28 août 2014  
Ménard, Pierre, Liminaire.
Voyage initiatique entre lavis et datamoshing
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« L’homme qui ne médite pas vit dans l’aveuglement, l’homme qui médite vit dans l’obscurité. Nous n’avons que le choix du noir. »
Victor Hugo, William Shakespeare, I, 5, les Âmes I, 1864.

La lumière naît de la nuit et y replonge.

Miser sur le noir. Se laisser séduire par le prestige de ces différents noirs qui dominent l’horizon imaginaire, en parcourir toutes les occurrences. Et même à aller bien au-delà. Une avancée vers des ténèbres dont on ne mesure pas encore la profondeur mais dont on connaît déjà le vertige. La pente de la rêverie nous entraîne vers une nuit sans fin. Sans sommeil.

Dans l’immense obstacle à lumières, éclaboussé de clartés, avancer dans l’ivresse du mouvement sans jamais revenir en arrière. Emporté dans un maelström trouble et affolant. L’esprit est en proie à de folles alternances, dans un ballottement sans fin du oui et du non, traversé d’impulsions violentes, dangereuses, jusqu’à ce qu’enfin le produit s’épuisant dans le corps, il regagne peu à peu la maîtrise des choses.

Tout semble s’y jouer entre deux nuits, dans une scène aussi vide et obscure que la chambre noire d’un système optique, où la lumière ne peut surgir que de l’intensité de leur affrontement. 

L’écrivain et poète Annie Le Brun a consacré un essai publié chez Gallimard, Les arcs-en-ciel du noir, à la thématique de l’exposition qui a eu lieu en 2012 à la Maison de Victor Hugo, où elle mettait en regard les textes hugoliens et les célèbres lavis à l’encre de Chine du romancier, révélant la manière dont ce dernier utilisait le noir pour accéder à la lumière.

La passion du voyage chez Victor Hugo est à l’origine de dessins stupéfiants, dont la singularité est d’émerger d’un noir, où se trouvent mêlés « ...du crayon, du fusain, de la sépia, du charbon, de la suie et toutes sortes de mixtures bizarres qui arrivent à rendre à peu près ce que j’ai dans l’œil et surtout dans l’esprit. », comme il le précisait dans une lettre à Baudelaire en 1860. D’entre les formes qui y apparaissent, la silhouette du château revient avec insistance, mais toujours sur le point de s’effacer au profit de ce qui peut encore et toujours surgir du noir.

Une grande partie des photographies prises dans les rues de New Baltimore, village de l’état de New York aux États-Unis, avec la vue à 360 degrés du dispositif de Google Street View, ont rencontré un souci technique dans leur enregistrement. Toute la ville semble capturée dans une image délavée, dégoulinante et visqueuse aux couleurs évoquant le pétrole, qui transforme la visite de l’endroit en expérience de voyage hanté sous acide, la consommation de drogues psychédéliques entraînant une profonde modification de la conscience, on y perçoit son monde intérieur et le monde extérieur (objets, personnes, environnement) de façon inhabituelle, modifications pouvant aller parfois jusqu’à l’hallucination.

« Un chemin s’ouvre, celui de l’immuable, qui s’ouvre parce qu’un autre se referme, celui de la variété. Mais ce n’était pas le sien. C’est à cause de cet immuable, dont il lui arrive de tirer parfois quelque fierté aussi, qu’il a répulsion pour la nouveauté, pour la diversité, pour la distraction, pour les sentiments (si bizarres, si inattendus, si gênants, si illogiques, les sentiments), pour le travail aussi, le travail à la variété si insoupçonnée, à quoi il ne peut plus se prêter, se préparer, devenu si mal mobile. C’est pour tout cela qu’il demeure à l’écart… C’est pour cela que les variants sont ses ennemis naturels, ses déséquilibreurs, êtres sinueux aux actes imprévisibles et en éclair, avec qui il ne peut y avoir véritable coexistence. C’est pour cela qu’impotent parmi eux, il n’y peut rester, à cause des adaptations qui lui coûteraient trop, qu’il ne réussirait pas à temps, pas convenablement, pas averti, pas soulevé par cet excès indispensable qui est l’élan naturel et ses intuitions. Tout est en désaccord avec lui. Les gens, les travaux, les occupations, il ne peut plus s’y faire, ces partis, ces décisions qu’il faut savoir prendre, prendre tout de suite. Des gens, de la ville aussi, il lui faut se tenir à distance, de la ville aux innombrables actes. Les occupations « normales », même modestes, demandent tant et tant de changements et de savoir « naviguer » ! Totalement désarmé par la diversité, à en devenir fou, fou à tout casser, à tout détruire, il est bien qu’un calme statique l’entoure. » [1]

L’artiste Jacques Perconte a participé au film de Leos Carax Holy Motors. Il a travaillé sur une séquence onirique du film qui se prolonge au-delà des quelques secondes diffusées dans le film, c’est un voyage initiatique au travers du cimetière du Père-Lachaise.
Dans la séquence filmée par Leos Carax au cimetière du Père-Lachaise, l’image vire, le paysage se liquéfie et l’abstraction plastique fait signe. La matière numérique se manifeste…

Pour Jacques Perconte, son travail dans ce film dépasse la pratique du datamoshing – technique de manipulation de l’image qui consiste à recréer volontairement des erreurs de compression vidéo à des fins artistiques – même si elle s’y apparente et si c’est comme cela qu’il crédité au générique. Il évoque pour sa part des « composites déglacés par réitérations colorées de compressions dansantes de données mais c’est bien trop compliqué… »

[1] Connaissance par les gouffres, Henri Michaux

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