Jacques Perconte
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260
  20 octobre 2013  
Jacobs, Bidhan, .
Le Soleil de Patiras
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Le Soleil de Patiras est une expérience numérique par laquelle Jacques Perconte montre comment élever la détection du signal de l’outil industriel (une mini-DV Sony DCR-PC 120 E) au niveau de la perception humaine et faire remonter à la surface de l’image des structures profondes du réel. Jacques Perconte est un médium. Au sens littéral : il est le médium entre le monde et ses films ; au sens métaphorique : il est doué d’une faculté de perception supérieure. Ainsi « la technologie ne saura pas voir ce qu’[il] voit, et (…) avec ses délicats défauts (ses spécificités) elle [lui] permettra peut-être de révéler quelque chose d’où émaneront de nouvelles ondes fondamentalement reliées aux premières ».

Le voyage en bateau autour de l’île de Patiras, dans l’estuaire de la Gironde, au coucher du soleil, permet à Jacques de mettre à rude épreuve l’outil de détection industriel normé ainsi que le circuit de la computation du signal dans lequel il s’inscrit. En choisissant en 2007 un caméscope DV datant de 2001, Jacques montre son peu d'intérêt d'être à la pointe de la technologie de l'image dont l'industrie cherchait à augmenter sans cesse la définition. « Il n’existera jamais de moyen assez puissant pour capter l’instant » écrit-il au sujet du film. Ces technologies seront toujours en basse définition, parce qu'elles ne pourront pas voir ce qu'il perçoit par tout le corps. Et littéralement chaque sous-partie du circuit de la computation du signal agit comme un filtre passe-bas. Le Soleil de Patiras retourne cette propriété selon quatre procédés pour une investigation plastique effusive du bruit :

1) Implémenter les algorithmes optiques :

- Jacques Perconte filme plein cadre le soleil couchant : le motif de son film est le signal lumineux le plus puissant possible et muni de propriétés spectrales les plus intéressantes.

- Il use des arbres, branches et feuilles de la rive comme d’obturateurs naturels (lorsque la densité des arbres est grande) ou filtres diffractants (lorsque la densité est plus faible), la vitesse relative variable d’obturation/diffraction dépendant du zoom et de la distance mobile entre le bateau et la rive.

- Il filme au travers de la vitre du bateau, translucide, porteuse d'impuretés et d’une structure interne aux multiples propriétés de réflexion, diffractions et dispersion de la lumière mais aussi d'indices de réfraction différents (verre ou plexiglass non homogène et impur).

- Il joue de la surface de l'objectif de sa caméra porteuse d’une empreinte digitale grasse apposant en ondulations des couches d’une substance translucide déviant les rayons lumineux. Ainsi les revêtements anti-reflets (l’objectif Zeiss est affublé de la technologie T*) ne jouent-ils plus complètement leur rôle de réduction des aberrations chromatiques. Jaillissent des flares par halos et nappes de couleurs saturées, mais aussi de singuliers et magnifiques damiers étirés d'irrisation et d'irridescence.

- Il choisit une prise de vue instable depuis un bateau (secousses, vibrations, roulis), par sa variation focale (zoom), qui dérèglent souvent la mise au point : chaque point image mêle plusieurs points objets, dénotant l’intensité du rayonnement qui provoque une fusion optique.

- le champ conique de sa caméra traverse et superpose l’ensemble des phénomènes optiques de déviation du signal depuis l'intérieur de l’objectif jusqu’au soleil.

2) Prendre à défaut les algorithmes de l’exposition

Ces implémentations du système optique ont des conséquences sur les paramètres calculés de l’exposition (diaphragme, vitesse d'obturation), ici laissés en automation totale (non des algorithmes structurels mais des algorithmes imitant les manipulation que l’homme pourrait faire). Les algorithmes sont pris de vitesse par le cadrage du soleil à travers ce défilement d’arbres de masses irrégulières selon une vitesse d’obturation et de diffraction variable passant de sous-expositions brutales à des surexpositions violentes comme des explosions de pure lumière éblouissante. Comparons cette imposition à l’ouverture la plus grande au supplice de Regulus (1828-1837) peint par Turner, œuvre picturale matricielle informant les expérimentations sur les algorithmes de l’exposition dans les arts filmiques.

3) Etendre les algorithmes du détecteur

Le dysfonctionnement forcé des algorithmes de l’exposition pousse le capteur CCD dans ses limites de transduction. Chaque cellule qui le compose possède, en effet, un bruit de fond qui lui est propre. Par ailleurs, la sensibilité à la lumière comme à la couleur de chaque cellule est différente. Ces disparités, qui sont soigneusement réduites dans l’observation scientifique (en astronomie par exemple), sont ici au contraire amplifiées. De même, loin de tirer parti des propriétés linéaires des cellules du CCD, Jacques Perconte préfère explorer leur potentiel exponentiel. Les cellules de la matrice sont littéralement saturées, c’est-à-dire que leur capacité de puits à plein est souvent atteinte lors des surexpositions brutales. Quand un puits de potentiel est rempli, la charge excédentaire déborde sur les puits voisins des pixels adjacents ce qui entraîne le phénomène d’éblouissement horizontal. L'exposition du capteur persiste aussi pendant le transfert le long de la colonne. Dans ce cas, puisque la capacité à puits plein est dépassée, les charges coulent au cours de leur transfert en générant ces larges, scintillantes et pulsantes lignes verticales.

4) Déranger la codification du signal numérique :

Les expérimentations radicales sur la détection dérangent les calculs du processeur (le stabilisateur d'image par exemple) mais aussi le traitement du signal au sein de la caméra qui vise à le normer (filtre anti-flare ainsi qu’une dizaine d’étapes de traitement). Jacques Perconte exploite, par ailleurs, la compression DV de sa caméra qui amplifie les phénomènes plastiques de bruit. Il a finalement opté pour un court-circuit de la codification du signal au moyen d’une numérisation du fichier par l'intermédiaire d'un câble VGA vers une boîte de numérisation normalement utilisée pour numériser les VHS. Ce détournement d'un outil de transduction d'un signal analogique en numérique rajoute un encodage mpeg4 et donc une réduction algorithmique d’images déjà compressées.

Ces quatre procédés complémentaires génèrent des formes plastiques qui s’additionnent, interfèrent et s’interpénètrent. Ils connotent une chaîne technique très élaborée qui permet à Jacques Perconte à la fois de tester les limites des programmes de la détection du signal mais également d'agir sur sa codification. La force de ce film est de révéler les puissances de la détection par l’instabilité de chacun de ses composants et algorithmes. Nature vibratoire, spectrale, ondulatoire et corpusculaire de la lumière, d’une part, bruit de la computation du signal numérique, d’autre part, et, enfin, formes de la perception de l'éblouissement sensoriel et psychique, entrent en résonnance dans le Soleil de Patiras. En ce sens, il est manifeste d’une voie immense que ne cesse d’explorer Jacques Perconte.

La sensibilité perceptive de Jacques Perconte joue, en effet, un rôle fondateur dans la création de ses films. Il y a toujours ce moment de ravissement devant les révélations de la nature. Une configuration singulière des éléments et des forces rayonnant des signaux (lumineux, auditifs, olfactifs, tactiles) que Jacques Perconte interprète. Des phénomènes optiques dans l’atmosphère, le ciel, l’océan, la rivière, les arbres, la prairie, dus à la réfraction, diffraction, diffusion complexes de la lumière à travers ces milieux constitués de particules en suspensions (eau, air, terre), et à la réflexion multiple sur les matières (animales, végétales, minérales), aux obturations, aux éblouissements, aux mouvements des choses, de l’air – telle la modification des nuages sous l’action du vent et de courant immenses qui caressent, remuent, violentent arbres, feuilles, surface des eaux – de la Terre par rapport au soleil induisant l’inclinaison des rayons lumineux par rapport aux couches atmosphériques qui modifie leur intensité et leurs couleurs, la modification de la température qui courbe les rayons lumineux, etc. Ces signaux et stimulis sont transformés en impulsions électro-chimiques et filtrées par tout l’appareil psychique de Jacques pour générer impressions, sensations, émotions, sentiments.

L’aptitude technique qui lui permet de comprendre les mécanismes et logiques présent dans les machines, signaux, algorithme, code, est l’équivalent de la sensibilité perceptive mais tournée vers les machines : il s’agit d’une sensibilité technique. Le travail de Jacques est de subordonner son aptitude technique à sa sensibilité perceptive. Il va trouver dans les machines de quoi mettre en image et en son ce qu’il a élaboré physiquement et psychiquement à partir de sa sensibilité perceptive. En d’autres termes, le numérique est exploité pour construire des images analogues au réel et tel qu’il agit sur et qu’il est perçu par le corps. Son travail demeure sous le signe de la découverte : sa sensibilité visuelle guide le processus d’expérimentation qui reste ouvert à ce qui peut se révéler et que l’intuition n’avait pas prévu.


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